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dimanche 21 avril 2024
Ramon
par Dominique Fernandez
( 2 août 2010 )

Le tango, né chez les immigrants, vers 1880, dans les bordels, est une danse triste, la seule danse triste au monde. Elle exprime la tristesse du déraciné, la culture d’un pays sans culture, la seule tradition d’un pays sans tradition. Au début les hommes la dansaient entre eux, faute de partenaires féminines, les femmes étant restées au pays. [...] Bien qu’ils dansent enlacés, nulle lascivité ne transpire de leurs visages sérieux. Rien de troublant dans cette proximité : raideur et hauteur de caballero. On ne s’abandonne pas dans le tango. C’est une danse privée d’élan. [p. 270]

« le journalisme, en ce qui concerne les intellectuels, c’est l’adaptation de la pensée à la contingence des évènements, à un espace et à un délai fixes : trois facteurs qui échappent au contrôle de l’écrivain et qui lui imposent le leur propre. »
« Le journalisme transforme doublement le travail intellectuel : il réduit le temps et l’espace dont disposait l’intellectuel libre au temps et à l’espace normal et moyen des autres membres de la société ; il l’oblige à traduire ses idées dans un langage moyen accessible à tous. Par le journalisme, l’intellectuel devient un producteur comme les autres, soumis au rythme général du travail social. »
Mais attention : il ne s’agit pas d’un nivellement par le bas. « Le journalisme, par bien des côtés, joue le rôle de l’ancienne discipline classique, telle que l’entendait un Malherbe, un Boileau. Il rétablit une relation directe et constante entre un écrivain et un public. »
L’écrivain, abandonné à lui-même, suivant sa pente sans contrainte, croit penser davantage, alors qu’il ne peut que s’enliser dans l’obscur, défaire doucement sa pensée dans l’émotion qui a déclenché l’idée première. « La « profondeur » n’est souvent qu’une défaite de l’intelligence, qu’un retour complaisant à l’intimité sans pensée de soi-même. » Le journalisme, au contraire, mettant à l’épreuve la pensée, est « comme le conseil de révision de l’intelligence. Il offre la précision et la sévérité d’un exercice physique, d’un sport » [p. 566]
(les citations sont de Ramon Fernandez)

La plupart des hommes qui se targuent de penser librement ne s’aperçoivent pas qu’ils sont manipulés : par le journal qu’ils lisent, par la publicité faite autour de certains livres et de certaines idées, par le libraire qui leur recommande l’ouvrage objet d’un gros lancement de la part de l’éditeur, etc. Nos contemporains sont rarement capables de décisions intellectuelles indépendantes. Ils se contentent de répercuter en automates ce que l’environnement leur suggère. « L’homme moderne croit offrir ses idées à la société, il n’a que les idées que la société lui offre. » [p. 570]