J’ai entendu parler de mathématiciens emprisonnés parce qu’ils étaient dissidents ou pacifistes, et qui s’étaient ensuite délectés de cette solitude rare que la geôle leur avait apportée. Pour eux, elle constituait un répit après les vicissitudes d’avoir à se nourrir, à s’habiller, à gagner de l’argent et à le dépenser ; un répit, même, face à la vie, cette existence qui, pour n’importe quel vrai mathématicien, n’est pas la chose à faire, mais la chose qui interfère. Une ardoise et de la craie. C’est tout ce qu’il vous faut. Pas de pianos, de dés à coudre, de clous ou de casseroles . Pas de marteaux de forgeron. Certainement pas de bibles. Une ardoise et de la craie, et ce monde, là-bas - ce monde réel - est à vous. [p. 167]
Si c’était possible (et peut-être un jour la physique le permettra-t-elle), il aimerait posséder un appareil semblable à la machine à remonter le temps de Wells, mais limité à un objet, plus modeste, conçu de telle sorte que l’on puisse sauter les moments délicats et enchaîner derechef avec un futur plus tolérable. Instantanément. En possession d’une machine pareille, vous n’auriez jamais à attendre la publication des résultats d’un examen, ou à juger si le titulaire d’un doctorat, fraîchement débarqué de Princeton, va répondre à nos avances avec gentillesse ou hostilité. Au lieu de çà, vous n’auriez qu’à tirer sur un levier ou appuyer sur un bouton pour obtenir dans la minute vos résultats d’examen, pour vous mettre au lit avec le gentil docteur, ou bien au chaud chez vous après vous être fait rabrouer par la version revêche du même jeune homme. Et fort de la certitude de ne plus avoir à endurer toutes ces épreuves, vous n’auriez plus à les redouter. [p. 207]