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dimanche 21 avril 2024
Journal
par Andy Warhol
( 10 décembre 2002 )

Ca ressemblait à un film italien des années 50. Très beau décor. Sophia est une femme au foyer, avec de beaux petits enfants italiens bien potelés, et un beau jour, alors qu’Hitler est en Italie, tout l’immeuble se rend à la parade. Son oiseau parleur s’enfuit et elle est accrochée par Marcello Mastroiani, le type de l’autre côté de la rue. Là, je me suis endormi. Quand je me suis réveillé, Marcello lui disait qu’il était pédé et qu’il ne pouvait pas bander pour une femme. Puis je me suis rendormi. Quand je me suis réveillé, elle était sur lui et ils s’envoyaient en l’air, mais avec leurs habits. Tout se passait quasiment dans une seule pièce. Puis elle est chez elle, tout le monde revient de la parade, et elle voit la lumière s’éteindre de l’autre côté de la rue, et deux types sont venus emmener le mec pour l’envoyer où vous savez, Fire Island ou quelque chose comme çà, parce c’est là qu’ils ont envoyé son copain. [p 101]

J’imagine que c’est çà le nouveau cinéma, on est censé rester à sa place. Les vieux films, genre Rue sans issue, on vous disait de sortir de l’impasse pour faire son chemin jusqu’à Park Avenue. Maintenant on vous dit restez où vous êtes à Brooklyn, évitez Park Avenue, tout ce que vous pourriez y gagner c’est d’être malheureux. [p 119, à propos de Saturday night fever]

Mr Ballato est à l’hôpital, on l’opère demain. Il a perdu 25 kilos en un mois, ils ne savent as ce que c’est. Il a raconté que l’hôpital de New-york ne lui réussissait pas : il a été admis pour des examens, et il est ressorti avec un œil au beurre noir ! C’est sa femme qui s’occupe du restaurant.
[p.147]

J’ai travaillé tout l’après-midi, puis j’ai regardé Holocauste, je n’ai pas arrêté de me préparer des jus de pamplemousse frais avec de la vodka et de tomber dans les pommes. Ils ont gazé la petite fille. Je me suis dit qu’on vivait chacun dans son petit monde. On vous dit de faire quelque chose, on ne sait pas ce qui se passe, ce sont les autres qui savent, on est à leur merci. Les Allemands disaient que les juifs étaient tellement mauvais qu’on était obligés de les tuer - en réalité, ils vivaient depuis une éternité avec eux, ils étaient voisins, ils savaient bien qu’ils n’étaient pas mauvais. C’est comme lorsqu’on va à l’hôpital : on te prend, on te fait n’importe quoi, parce qu’on ne connaît pas leur monde. Comme investir dans des tableaux, on fait confiance aux gens, ou investir dans des actions, on ne sait pas, on se contente de ce qu’on vous dit, ou même le sport. Ou les groupes terroristes, ils vous refilent des tracts dans la rue et ils sont dans leur monde à eux.
Mais tout de même, si aujourd’hui on vous disait : « il faut qu’on fasse çà aux Portoricains », est-ce qu’on le ferait ? Sûrement pas. Alors, comment ils ont pu le faire ? Si on pense à des Allemands qu’on connaît vraiment bien : est-ce que eux, ils auraient pu le faire, ou... Mais si on cède une fois, on ne s’arrête plus, çà c’est sûr. Alors, après le premier, ç’a dû être facile.
[p.150]

Je suis resté après le travail. Regardé « 20/20 », au lieu de dire « A l’avenir, tout le monde sera célèbre quinze minutes », Hugh Downs a fait : « Comme l’a dit Andy Warhol, dans quinze minutes tout le monde sera célèbre. » C’était franchement drôle. A la télé les gens écorchent toujours le truc, ils sortent par exemple : « A l’avenir, quinze personnes seront célèbres . »
[p.178]

Pourquoi Bruce Springsteen est une tellement grande star ? Il parle comme un idiot, genre Sylvester Stallone. Est-ce pour çà que ces gens deviennent des grandes vedettes ? Qu’ainsi les gens s’identifient à eux ? C’est vrai aussi qu’il travaille vraiment dur.
[p.182]

Adriana Jackson est venue, j’ai pris des photos d’elle et d’une femme suisse pour un portrait. Gigi a fait le maquillage. Maintenant quelqu’un maquille les visages en blanc pour que les rides ne se voient pas. Ils sortent mieux au tirage , c’est mieux pour la sérigraphie et en même temps, les gens ont l’impression que vous faites quelque chose de spécial pour eux. Les photos sortent vraiment mieux. La femme suisse n’aimait pas son nez - pourtant il était bien - c’était vraiment difficile de prendre une photo sur laquelle elle supporte son nez.
[p.196]

Depuis deux jours, la nouvelle importante, c’est le suicide collectif au Guyana d’une secte dont le chef s’appelait Jim Jones. Çà coûte 8 millions au gouvernement américain de ramasser tous les corps et de les rapatrier. Ils avaient mis du cyanure dans du Kool-Aid au raisin (rires). S’ils avaient pris de la soupe Campbell, je serais franchement célèbre maintenant, je passerais dans toutes les émissions d’information, tout le monde me poserait des questions. Mais Kool-Aid a toujours été un truc hippie.
[p.198]

Fred a vu Cocaïne Cowboys, il trouve çà exécrable. Il a dit qu’il en était gêné pour moi. Fred ne sait pas que c’est un bon film.
[p.225]

Loulou nous dit que Y. S.-L. Était un tel génie qu’il n’arrive pas à le supporter. Il doit prendre un million de pilules, tout le bureau est déprimé quand il est déprimé, sauf elle. Elle dit qu’elle fait bonne figure quoiqu’il arrive. C’est comme çà qu’elle tombe malade : elle essaie toujours d’avoir l’air heureuse, çà la stresse et lui retombe sur le foie. Elle n’a pas bu depuis plus d’un an mais elle ne pense pas que la cocaïne soit mauvaise. Moi je pense que si. Nous avons parlé de son beau-père, John McKendry. Elle dit qu’il a des quantités de petits amis. S’il s’est marié avec Maxime, c’est qu’il avait le fantasme que son fils à elle, Alexis, vivrait à la maison avec eux et qu’ainsi il pourrait avoir une aventure avec lui. Mais le fils s’est marié immédiatement et a déménagé au pays de Galles. Ensuite il avait fait le plan que Loulou pourrait lui amener des jolis garçons tout le temps, et qu’il pourrait les baiser. Et c’est vrai qu’il lui a volé ses mecs.
Loulou dit que John McKendry se tue à petit feu parce qu’il a toujours caressé le rêve d’une aristocratie géniale et romantique, merveilleuse et littéraire. Et quand il les a rencontrés et épousé une comtesse - sa mère - et commencé à fréquenter Jackie O. et des gens comme çà, tous les jours, pour son travail au Met, il a réalisé qu’ils n’étaient que des gens normaux, bêtes comme tout le monde. Du coup il n’avait plus aucune raison de vivre. Bien sûr, je pense que Maxime l’a rendu fou, mais je ne pouvais pas dire çà à Loulou. [p. 271]

Stephen a invité une jeune femme à se joindre à nous pour le dîner, une femme sculpteur (...) Elle a fait une sculpture avec sa serviette qu’elle m’a offerte, mais nous n’avons pas remarqué que le serveur l’emportait. [p 320]

J’ai eu un choc au ballet, une femme est venue et m’a dit : « salut, savez-vous qui je suis ? » J’ai dit que non. Elle a dit « Lila Davies ». J’étais en classe avec elle à Carnegie Tech. C’était une de personnes avec qui nous vivions tous sur la 103e rue dans les années 50. Elle était avec son fils de dix-huit ans. Ils vivent à Cleveland. Et tout à coup je me suis senti vieux parce que son fils ressemblait à ce qu’elle était quand je l’ai connue. Je me sens vieux, gris, fatigué et dépassé. Je l’ai invitée à déjeuner au bureau. Maintenant je pense que tous mes problèmes viennent du fait que je me sens vieux. Et je vois tous ces gosses bourgeonnants. J’ai mis le doigt sur le problème. [p. 383]

Je commence à détester habiter au milieu des antiquités, elles vous font ressembler à elles, réellement. [p 394]

C’est si agréable d’être invité dans sa propre maison par la personne qui la loue. Vous vous sentez chez vous et en même temps vous gagnez de l’argent. [p 401]

On pensait que çà ne finirait jamais, mais finalement çà s’est terminé. A croire qu’il y a une fin à tout. [p 410]

Jerry racontait que beaucoup de femmes demandent à leur petit ami une broche à 150 000 dollars. Leur amant leur donne l’argent. Puis elles disent à leur mari la même chose. Il leur donne l’argent. Elles achètent la broche et elles empochent les autres 150 000 dollars, et chacun pense que c’est lui qui l’a achetée. Il a ajouté que beaucoup d’hommes achetaient des bijoux à leur femme au nom de leur entreprise, si bien que quand ils se séparent les bijoux reviennent à l’entreprise. Mais un tas de femmes font faire des copies et vendent les vrais avant. [p. 440]

J’ai regardé Tarzan sur le câble. Bo Derek est la pire des actrices. Elle mangeait une banane. Elle ne peut même pas manger une banane. On aurait dit qu’elle n’avait pas de dents. [p 456]

Quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi tout le monde est beau maintenant ? Dans les années 50, il y avait des gens vraiment très beaux et tous les autres qui ne l’étaient pas. Aujourd’hui tout le monde est pour le moins attirant. Comment est-ce arrivé ? Est-ce parce qu’il n’y a pas de guerres pour tuer les plus beaux ? [p.458]

Je suis en colère contre Scavullo. Sur ces photos qu’il a faites de moi pour le catalogue Jordan Marsh, j’ai l’air tellement laid. Il n’a pas retouché les photos du tout alors qu’il est la reine des retouches ! Mais il ne l’a pas fait pour moi. J’aimerais l’appeler et lui dire. Mis il répondrait : « On ne peut travailler qu’avec ce que tu nous donnes, darling. » [p. 520]

Ils ont dit qu’ils voulaient que nous venions au Nicaragua pour soutenir leur art. Clemente a dit : "C’est çà, et perdre la carte de séjour que j’ai eu tant de mal à obtenir !" A la fin du repas, la rebelle [la ministre de la culture du Nicaragua] est montée dans sa limousine et le socialiste qui travaille pour Mitterrand [Régis Debray] dans la sienne. Nous sommes allés au loft de Clemente, juste à côté de Tower Records. Son loft est tellement beau. C’est vraiment le loft d’un artiste, avec des grandes toiles partout. Il produit énormément. Tellement de tableaux. Le type de Mitterrand a été horrible. Il a marché sur un tableau qui était par terre en prétendant qu’il croyait que c’était un tapis. Je sais qu’il savait que c’était un tableau. [p 527]

Resté à la maison et vu un bout des Années Kennedy à la télé. Des républicains ont dû écrire le scénario parce qu’on voyait Jackie s’inquiéter pour ses rideaux en, plein milieu de la crise cubaine. [p 535]

Vous voyez, je suis sûr que je suis tombé malade l’autre jour parce que j’ai été puni pour avoir crié sur une femme. Je ne l’ai pas raconté au journal ? Une femme qui travaillait dans l’immobilier a appelé au bureau pour dire qu’elle voulait montrer notre étage à des gens. J’ai hurlé qu’elle ne le pouvait pas, que notre bail n’était pas échu et qu’elle n’avait pas intérêt à mettre les pieds dans les locaux avant qu’il le soit. Elle a dit qu’elle ne pouvait pas croire qu’une personne sympa, un artiste comme moi, pouvait hurler contre elle . Et je suis tombé malade. [p.551]

Rien que des murs blancs et un sol propre. C’est tout ce que je veux. La seule chose chic c’est de ne rien posséder. (...) Mary Richardson a appelé pour dire que la seule chose que le gamin Kennedy qui a eu une overdose - David - avait sur le mur de son appartement, c’était la serviette de table que je lui avais donnée. Je ne me souviens pas si j’avais dessiné une queue ou simplement des cœurs. [p 563]

J’ai travaillé sur les portraits de Lana Turner, pour transformer cette femme de soixante ans en une fille de vingt-cinq. Il m’a fallu un moment. J’aurais préféré pouvoir travailler à partir d’une vielle photo, çà aurait donné un tableau magnifique, mais comme cà, ce n’est pas vraiment bon. [p 634]

C’est la semaine de l’élégance, tout le monde est beau à ravir en ville. Ça me fiche le cafard.
Oh, j’oubliais. Victor m’a appelé, je lui ai dit qu’il ne venait plus me rendre visite, alors il m’a répondu qu’il recommencerait à venir dès demain. Il habite dans la 57e rue - il est avec quelqu’un, il s’en tirera toujours, il a toujours une grosse bite.
Je ne sais pas pourquoi il y a toutes ces photos de nus signées Bruce Weber dans « Interview ». Je veux dire, toutes ces pages sans vêtements -sans présentations de mode ?! Ça rime à quoi ? Je ne vois pas ! Il faut penser à nos annonceurs. Je m’en vais rétablir l’ordre : « Plus de tenues d’Adam. » [p.636]

Je crois qu Boy George et Marilyn m’aiment bien parce qu’ils peuvent dire des méchancetés et que je ne trouve pas de répartie assez rapidement, je ne représente donc pas une menace pour eux. [p. 642]

Benjamin est arrivé et nous sommes tombés sur Crazy Matty . Je lui ai demandé pourquoi il n’allait pas casser les pieds à Greta Garbo dans la 52e rue Est. Il a noté l’adresse. Je vois déjà les titres des journaux quand il aura assassiné Greta Garbo : « C’est Andy Warhol qui m’avait donné l’adresse. » (...)
Vu « American Flyer ». En regardant cette fille au nez crochu, dans le film, je n’ai pas tout de suite reconnu Jennifer Grey. Je veux dire, c’est vraiment triste, son père s’est payé un nez tout neuf et il ne lui en a pas offert, à elle. C’est mesquin, non ? Oh, mais allez voir le film pour le nez - il faut ab-so-lu-ment voir ça. Et pour Kevin Costner, aussi, il ira loin. Le film est vraiment bien. [p. 661]

Une fille a essayé de me faire monter dans sa limo pour me ramener à la maison, mais je n’y suis pas allé parce que çà m’aurait fait connaître quelqu’un de plus qu’ensuite j’aurais dû voir de temps en temps [p 671]

De toute façon Fred a été d’une humeur massacrante pendant tout le voyage. Quand je lui en ai fait la remarque, il m’a rétorqué : « Je suis assez vieux pour me permettre d’être chiant si j’en ai envie. » [p. 710]

Comment les docteurs réagissent-ils, en fait, face aux malades ? Est-ce qu’ils s’attachent à vous, veulent vraiment que vous alliez mieux, ou est-ce que c’est juste leur boulot ? C’est comme les portraits : est-ce que je veux qu’ils soient bien, ou est-ce que c’est seulement un boulot ? Et ça, ce n’est qu’un truc superficiel - je ne parle pas de la vie et de la mort. [p 729]

Théatre. Lynn Redgrave est une bonne actrice, parce qu’elle a joué en demi-teintes pour faire de la place à Mary Taylor Moore. L’autre jeune, dans la pièce, a sorti sa queue. Après, à la réception, ses parents ont dit (rire) qu’ils étaient très fiers de lui. [p. 775]

[Picasso à Gertrude Stein, dans Interview transatlantique] Vous voyez, la situation est simple. Quiconque crée une chose nouvelle doit le faire sans grâce. L’effort de création est si grand, essayer de se tenir à l’écart des choses autres, de l’insistance contemporaine est si grand, que l’effort pour s’en couper va donner une apparence sans grâce. Ceux qui vous suivent peuvent le faire avec élégance, de sorte que généralement les suiveurs sont acceptés avant les maîtres. Les gens ensuite retournent à l’original. Ils voient la beauté et la rapportent à l’original.

Cité dans Warhol de Michel Nuridsany [p 394]