Un rêve, ce matin, comme un dégel soudain après une semaine entière pris dans les glaces, sans pouvoir écrire, ni presque penser. Je m’éveille tout réjoui par l’idée qui m’est venue dans le sommeil : Un train rendu invisible par des écrans LED qui le recouvrent entièrement et affichent l’image d’une caméra située sur l’autre face. Puisse ce projet fantasque être le signe que mon esprit se libère des obsessions moroses qui l’occupaient depuis dimanche dernier.
Un dimanche sinistre, baigné toute la journée dans un brouillard glacé, et marqué dès l’aube par le choc douloureux qui nous est asséné au réveil. Alertés par le bruit sinistre des tronçonneuses, nous découvrons sous nos fenêtres une équipe d’élagueurs, entreprenant l’assaut du magnifique acacia dont le feuillage, en été, nous cache le carrefour. Toute la matinée, incapables d’en détourner le regard, nous assistons à un spectacle morbide et glaçant : cet arbre splendide et en pleine santé est lentement démembré sous nos yeux, branche par branche. Quand, vers midi, les bourreaux se retirent enfin, il ne reste plus qu’une énorme souche, le cou d’un géant qu’on vient de trancher à vif. L’émotion est si forte qu’elle nous laisse muets jusqu’au soir, envahis l’un comme l’autre par un sentiment de deuil.
Le malaise est si profond que, sans exclure l’effet d’une sensiblerie accrue par l’âge, on peut en voir une explication dans sa résonance avec les innombrables sources d’inquiétude qui nous abreuvent : les guerres, les tempêtes, les menaces d’un retour du fascisme et de l’obscurantisme. Tout concourt à nous faire redouter à tout instant de basculer dans le drame. Le livre de Naomi Klein n’est pas de nature à nous rassurer. Même si, sur les raisons profondes du basculement américain dans le trumpisme, elle rejoint l’analyse du MondeDiplo, en dénonçant le trahison des Démocrates et leur abandon de toute préoccupation sociale, le récit détaillé qu’elle en fait semble exclure tout espoir d’un possible retour à la raison, et à la morale. On découvre en particulier dans ce récit que l’épisode du COVID a donné lieu aux Etats-Unis à des délires collectifs sans commune mesure avec ceux que nous avons connus, et à quel point les théories complotistes ont envahi le débat public. Les réseaux sociaux, qui en sont désormais le théâtre principal, sont devenus un véritable monde alternatif, ce fameux Double qui lui inspire le titre du livre, et qui n’est pas sans rappeler le monde de la novlangue imaginé par Orwell dans 1984. On sort de cette lecture accablé par la découverte de ce nouveau péril, qui sans nul doute va nous atteindre bientôt. Comme souvent, je suis frappé par l’aveuglement des médias traditionnels, pour qui les réseaux sociaux sont devenus une source inépuisable d’anecdotes, quand ils devraient plutôt en faire un objet d’enquête, tant leur absence de régulation fait courir de dangers à la démocratie. Davantage sans doute que les progrès de l’Intelligence Artificielle, objet d’alertes incessantes sur le thème "les robots vont prendre la main sur leurs créateurs". Fantasme idéal pour la presse people, au, même titre que naguère les OVNIs, plus facile à traiter que les effets délétères de Facebook et d’Instagram. A noter au passage les progrès incessants de ChatGPT, dont j’ai fait une nouvelle fois l’expérience en l’interrogeant sur moi : il a répondu par un résumé biographique plutôt flatteur, mais factuellement exact, dont l’une des sources, relative à l’internet, est une vidéo, sur le site web90.Toute flatterie est bonne à prendre.