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dimanche 21 avril 2024
Le bel ennui
par Michel Butel
( 29 mars 2024 )

Mon fils aîné Ivan avait quatre ans, j’ai dû faire une remarque qui lui a déplu. Il est parti bouder dans la pièce d’à-côté. Nous habitions, Tom lui et moi, une petite maison dans le sud de la France. Tom c’était le terre-neuve, le chien le plus gentil le plus doux le plus humain du monde. Je suis allé lire dans le jardin, une heure a passé. Aucune nouvelle d’Ivan. Je me décide de tout de même - sans doute dort-il par ce chaud après-midi de mai. J’entre, il est assis au fond du canapé, je m’approche, souriant, affectueux, il me lance : "tu ne peux pas me laisser tranquille ? je ne peux pas bouder sans que tu viennes m’embêter ?" Ce jour-là j’ai compris qu’il fallait laisser un immense espace vide où ceux et celles que l’on aime peuvent disposer à leur guise de leur énergie, de leur temps, de leur liberté. Et j’ai compris que nous n’avons, nous tous, souvent que cela à notre disposition pour reprendre des forces, pour nous régénérer, pour savoir où nous en sommes, pour savoir qui nous sommes. Nous réfugier juste à côté, dans le premier sas venu, celui de la liberté minimale, la liberté de se taire, de n’avoir rien à dire, de ne pas se justifier. Parfois, tout simplement, la liberté que procure l’ennui. Parce que le vacarme du monde, la surveillance presque parfaite qu’exercent tous sur tous, chacun sur chacun, ne nous concèdent à la fin que ce refuge si calomnié, refuge parfait pour re-penser pour ré-exister pour re-trouver l’ennui, le bel ennui. A chacun d’en faire une force, une force de vie, à chacun d’aller contre la bêtise sentimentale et pleurnicheuse qui toujours s’effraie de l’ennui. Sous l’ennui, la force. Sous l’ennui, la vie.