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jeudi 7 mars 2024
Mes mille et une nuits : La maladie comme drame et comme comédie
par Ruwen Ogien
( 7 mai 2019 )

Au fond, la psychologie "positive" , dont la résilience est l’un des piliers, à, comme les idées de Leibniz dont Voltaire se moquait, un côté bêtement optimiste, répugnant aux yeux de tous ceux dont la vie est précaire, marquée par des échecs et des peines profondes.

Elle tend à culpabiliser tous les défaitiste en pensée, tous ceux qui n’ont pas la force ou l’envie de surmonter leur désespoir.

Et comme les réponses doloristes à nos interrogations existentielles, la psychologie "positive" peut servir à justifier la cruauté sociale qui continue de s’exercer contre les malades dont la vie est dévastée.

C’est la raison pour laquelle la tendance générale de cette psychologie à présenter les maladies les plus horribles de façon positive, c’est à dire comme des défis susceptibles de nous "faire grandir", de nous rendre "meilleurs", plus lucides sur nous mêmes et la "condition humaine", ou comme des preuves cruciales ou notre véritable caractère (notre "courage", notre "résilience", etc.) pourrait se révéler, ) m’est devenue quasiment insupportable.

[P.56]

Aux États Unis, l’explosion des taux d’incarcération est parallèle à l’adoption de nouvelles formes de gestion du système pénitentiaire qui donnent une place grandissante au privé.

On a tendance à penser que c’est l’accroissement considérable de la criminalité qui a conduit à cette situation, le privé venant, en quelque sorte, soulager un secteur public défaillant. Mais la flèche da la causalité va peut être dans l’autre sens, en réalité. On peut parfaitement concevoir que la privatisation du système pénitentiaire à largement contribué à l’accroissement des taux d’incarcération et de récidive en ignorant les mesures qui pouvaient permettre de les éviter, partiellement au moins.

Et la meilleure explication de cet état de choses pourrait bien être que les deux, incarcération et récidive, sont des sources de bénéfices pour les sociétés d’enfermement privées

[p.156]

Le médecin est un membre actif de l’ensemble des institutions qui décident quels états physiques et mentaux peuvent être inclus dans la liste officielle des maladies et quels sont ceux qu’il faut en exclure (comme ce fut le cas récemment pour l’homosexualité). Parmi les autres « producteurs » de maladie en ce sens moral ou politique, il faut compter l’État, les grands laboratoires pharmaceutiques, les diverses agences de santé, les instances d’enseignement et de recherche, les éditeurs d’ouvrages médicaux.

Les médicaments qui guérissent sont bons pour le patient, mais pas pour les grandes entreprises pharmaceutiques. Les maladies chroniques sont une source de profit chronique. S’il est vrai que les liens entre l’industrie pharmaceutique et les médecins sont de plus en plus étroits, il ne serait pas étonnant que cela modifie les conditions de la recherche et de la pratique médicales. Recherche et pratique seraient moins guidées par la volonté de découvrir et de diffuser des médicaments bon marché qui guérissent que par celle de trouver des médicaments ultracoûteux qui ne guérissent pas.

Aucun argument décisif ne permet d’affirmer que l’industrie pharmaceutique investit délibérément, consciemment, dans la recherche et la diffusion de médicaments ultracoûteux qui ne guérissent pas. Il faut reconnaître cependant que ce genre de détournement aberrant des finalités d’une institution n’est pas inconcevable lorsque la recherche du profit devient la motivation principale. Ainsi, la gestion privée des prisons aux États-Unis semble avoir considérablement dévalué la tâche d’éviter la récidive qui était anciennement l’une des plus importantes que les centres d’incarcération publics devaient prendre en charge.