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jeudi 7 mars 2024
Retour à Reims
par Didier Eribon
( 29 novembre 2016 )

Pourquoi certaines catégories de la population - gays, lesbiennes, transsexuels ou Juifs, Noirs, etc.- doivent-elles porter le fardeau de ces malédictions sociales et culturelles dont on a bien du mal à concevoir ce qui les motive et les réactive inlassablement ? Je me suis longtemps posé cette question : "Pourquoi ?" Et aussi celle-ci : "Mais qu’avons-nous fait ?" Il n’est pas d’autre réponse à ces interrogations que l’arbitraire des verdicts sociaux, leur absurdité. Et comme dans Le Procès de Kafka,, il est inutile de chercher le tribunal qui prononce ces jugements. Il ne siège pas, il n’existe pas. Nous arrivons dans un monde où la sentence a déjà été rendue, et nous venons, à un moment ou à un autre de notre vie, occuper la place de ceux qui ont été condamnés à la vindicte publique, à vivre avec un doigt accusateur pointé sur eux, et à qui il ne reste qu’à tâcher tant bien que mal de se protéger d’elle et de réussir à gérer cette "identité pourrie", comme le dit le sous-titre anglais du livre d’Erving Goffman, Stigmate. Cette malédiction, cette condamnation avec laquelle il faut vivre installent un sentiment d’insécurité et de vulnérabilité au plus profond de soi-même, et une sorte d’angoisse diffus qui marque la subjectivité gay. [p.223]