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dimanche 21 avril 2024
Journal
par Matthieu Galey
( 9 août 2015 )

Générale de Butley, très chaleureuse, même pour moi. Comment dire aux gens que si j’ai assez bien compris le personnage, c’est qu’il me ressemble. Odieux, aigri, destructeur, pervers, déplaisant. Et pitoyable. Ce n’est plus une adaptation, plutôt une reconnaissance. [t. I, p.500]

Beaucoup pensé non pas à la mort, mis à ce qui reste d’une vie telle que la mienne. J’arrive à maturité. Je pourrais écrire, comme les copains. Ce serait une évasion dans le fictif, une fuite de plus. Une façon d’esquiver le problème en se faisant croire qu’on laisse quelque chose. Non, il n’y a rien, aucune trace. Le souvenir de ce regret sidéré ne tient lui-même qu’à un bout de feuille arrachée d’un cahier. Multiplier les chances en publiant ? Aussi vain que d’entasser des billets de banque dans une lessiveuse. Vient toujours un moment où le papier ne vaut que le prix du papier. Avant de pourrir avec le restant. [t.II, p.58]

Si bien – de temps en temps – avec moi-même, pourquoi suis-je en train de devenir odieux avec les autres, incapable de dissimuler mon ennui ? Les autres me rasent, leurs histoires m’assomment, s’ils ne sont pas géniaux ou précis. Je ne sais pas, comme Claire, m’intéresser aux êtres, quels qu’ils soient. Pas étonnant que je ne sois point romancier, malgré « mes dons »… [p.139]

Voici quarante-six ans que je somnole sur un trésor. Homosexuel et demi-juif, quel romancier ne donnerait cher pour posséder ce capital ? Moi, je vis cela, bien à mon aise, ou presque, sans en tirer profit ni souci, comme un paysan qui aurait transformé en étable une chapelle romaine. [p.143]

Si je me relis, mon écriture a changé, rapide, griffue. Celle qu’il faut avoir, sans doute, quand on veut écrire une œuvre, le fil de la plume ne devant pas gêner celui de la pensée, alors que le articles de littérature, au contraire, s’écrivent avec une lenteur cauteleuse, sans avancer jamais un mot qui ne soit le bon, le juste, l’unique, sinon il vous reviendrait à la figure comme un boomerang, dès la semaine suivante. Le texte part : plus de correction possible. Pas d’épreuve ni de réflexion. Le saut dans l’inconnu, et le définitif. Ce n’est ni un métier, ni un art, le journalisme : du trapèze volant. Qui rate son coup s’écrase. [p.216]

Un noir, en face de moi (dans le TGV) lit Autant en emporte le vent. A qui peut-il bien s’identifier ? [p.225]

Je déteste les compliments. Des médiocres, ils m’humilient ; des autres, c’est eux qu’ils diminuent. [p.287]

Le perpétuel double langage du monde où je barbote m’amuse et m’agace à la fois. Même à l’intérieur du sérail, on vous paie de mots, comme si l’on ne savait pas ce que vaut cette monnaie de singe. [p.334]

« Dire que cette chose effrayante, l’agonie, sévit parmi nous avec autant de cruauté qu’aux premiers jours de la création. On n’a rien fit contre au cours des millénaires, on n’a pas touché à ce tabou sauvage ?... Je réclame des Maisons de la Mort, où chacun aurait à sa disposition des moyens modernes de faciliter son trépas… Si je veux, je peux cesser de vivre. Je n’ai pas demandé à venir au monde, mais au moins il me reste le droit de m’en aller. » Gombrovicz (Journal 1957-1960, pp. 110-111) [p.338]