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dimanche 21 avril 2024
Némésis
par Philip Roth
( 13 janvier 2013 )

« Ne vous battez pas contre vous-même. Il y a déjà suffisamment de cruauté dans le monde. N’aggravez pas les choses en vous prenant pour bouc émissaire ». (...) Il n’y a rien de plus difficile à sauver qu’un garçon honnête démoli. Il était resté beaucoup trop longtemps isolé dans sa façon de voir les choses - et privé de tout ce qu’il avait si passionnément voulu avoir - pour que je puisse lui ôter de la tête son interprétation de l’événement funeste de sa vie ou faire bouger le rapport qu’il avait établi avec cet événement. Bucky n’était pas un homme brillant - pas la peine d’en être un pour être prof de gym - et il ne savait pas ce qu’était inconscience. Il n’avait pas beaucoup d’humour, sachant s’exprimer mais ne se montrant jamais spirituel ; c’était quelqu’un qui n’avait jamais de sa vie tenu de propos caustiques ou ironiques, à qui il n’arrivait que rarement de faire une plaisanterie ou de dire quelque chose pour rire, quelqu’un, au contraire, qui était hanté par un sens du devoir exacerbé mais n’était pas doué d’une grande puissance de raisonnement, et il en avait payé le prix fort en attribuant à son histoire une signification dramatique qui , s’intensifiant avec le temps, renforçait dangereusement son malheur. (...) La culpabilité, chez quelqu’un comme Bucky, peut paraître absurde, mais elle est en fait inévitable. Un homme comme lui est incurable. Rien de ce qu’il fait ne correspond à son idéal. Il ne sait pas où prend fin sa responsabilité. Il ne se fie jamais à ses limites parce que, esclave d’une bonté naturelle rigoureuse qui ne lui permet pas de se résigner à la souffrance des autres, il refusera toujours de reconnaître, sans se sentir coupable, qu’il y a des limites à ce qu’il peut faire. [p. 220]