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dimanche 21 avril 2024
Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?
par Jeanette Winterson
( 13 janvier 2013 )

Lire ce qui est pertinent par rapport aux faits de votre existence est d’un intérêt limité. Après tout, les faits ne sont que des faits et le pan désirant et passionné de votre être ne s’y retrouvera pas . C’est pour cette raison que se lire soi-même autant comme une fiction que comme un fait est libérateur.. Plus on étend ses lectures, plus on se libère. (...)Se lire soi-même comme une fiction autant que comme un fait est le seul moyen de garder la narration ouverte - le seul moyen d’empêcher le récit de prendre la tangente sous l’effet de son propre rythme, souvent vers une conclusion dont personne ne veut[p.142,144]

Retour sur 1945. A l’époque, que vous soyez de gauche ou de droite en Grande-Bretagne ou en Europe de l’Ouest, il n’était pas envisageable de reconstruire les sociétés en recourant à la vision néolibérale dépassée et discréditée de l’économie de marché - la dérégulation du travail, l’instabilité des prix, l’absence de protection sociale pour les malades, les personnes âgées ou les chômeurs. Il allait nous falloir des logements, du travail, en quantité, l’établissement de l’Etat-providence, la nationalisation des entreprises d’utilité publique et des transports.
Les peuples faisaient un grand pas vers la responsabilité collective ; nous prenions conscience que nous devions quelque chose non seulement à notre drapeau, à notre pays, à nos enfants et à nos familles, mais aussi les uns aux autres. Société. Civilisation. Culture.
Cette évolution des mentalités ne découlait pas des valeurs ou de la philosophie victoriennes, et ne trouvait pas non plus sa source dans la pensée de la droite. Elle résultait des leçons pratiques données par la guerre, et - cela est capital - des arguments supérieurs du socialisme.
Le ralentissement économique qu’a connu la Grande-Bretagne dans les années 70, notre sortie du FMI, la flambée des prix du pétrole, la décision de Nixon de supprimer la convertibilité or du dollar, les querelles entre des syndicats désorganisés ainsi qu’une sorte de doute existentiel à gauche, tout cela a permis à la droite de Reagan/Thatcher de balayer d’un revers de la main ces pesants discours en faveur d’une société juste et égalitaire. Nous allions emboîter le pas de Milton Friedman et de ses amis issus de l’école de Chicago préconisant un retour au bon vieux laisser-faire de l’économie libérale, et maquiller le tout en nouveau dogme.
Bienvenue TINA - There Is No Alternative.
En 1988, le ministre des Finances de Thatcher, Nigel Lawson, a qualifié le consensus d’après-guerre de « délire d’après-guerre ».
Je n’avais pas compris que lorsque l’argent devient la valeur cardinale, l’éducation va au plus fonctionnel et la vie de l’esprit n’est envisagée comme un bien qu’à partir du moment où elle offre des résultats quantifiables. Je n’avais pas non plus compris que le service public ne serait plus une priorité. Que faire le choix d’une vie autre que celle passée à consommer deviendrait aussi difficile que de trouver un logement à bas prix . Qu’en détruisant les communautés, on laisse prospérer l’intolérance et la misère.
J’ignorais que le thatchérisme financerait son miracle économique en vendant toutes nos richesses et nos industries. Je n’ai pas compris les conséquences de la privatisation de la société. [p.166]

Plus je lisais, plus je me sentais liée à travers le temps à d’autres vies et éprouvais une empathie plus profonde. Je me sentais moins isolée. Je ne flottais pas sur mon petit radeau perdu dans le présent ; il existait des ponts qui menaient à la terre ferme. Oui, le passé est un autre pays, mais un pays que l’on peut visiter et dont on peut rapporter ce dont on a besoin.
La littérature est un terrain d’entente. Un terrain qui n’est pas géré que par des intérêts commerciaux ni exploité comme une mine à ciel ouvert à l’instar de la culture populaire - tirez au maximum profit de la dernière nouveauté et passez à autre chose.

Nombreux sont les débats où l’on oppose le monde apprivoisé au monde sauvage. En tant qu’êtres humains, nous avons non seulement besoin d’une nature sauvage, mais aussi de l’espace ouvert et libre de notre imagination. La lecture est le pays des Maximonstres. [p.171]