"12 jours"


31 août 2018

« 12 jours », réalisé en 2017 par Raymond Depardon est un documentaire tourné à l’hôpital Vinatier, à Lyon, consacré aux patients internés en psychiatrie sous le régime de la contrainte. Depuis 2013, la loi impose qu’un juge des libertés statue sur la prolongation ou l’arrêt de leur internement dans un délai de 12 jours après leur arrivée. Cette procédure est ensuite répétée tous les six mois. Depardon a obtenu les autorisations nécessaires pour filmer (sans floutage) les audiences qui se tiennent dans une salle de l’hôpital, réunissant le juge et le patient assisté de son avocat. Le film en présente dix, sur les 72 qui ont été filmées.

Le film s’ouvre sur une séquence de travelling d’une longueur et d’une lenteur insupportables dans les couloirs déserts et verdâtres d’un service hospitalier. Ce plan-séquence interminable, qui se termine sur une banale porte vitrée soulève d’emblée chez le spectateur une interrogation : sommes-nous vraiment dans un documentaire, ou bien s’agit-il d’un artifice manipulatoire du réalisateur (M. Hanneke l’a quelquefois utilisé), qui prolonge délibérément un plan sans intérêt, dans le seul but de dérouter, voire d’irriter le spectateur ? La question reste sans réponse, bien que dans le bonus, R. Depardon, qui évoque brièvement cette séquence, semble lui prêter un intérêt informatif, alors que pour nous, au-delà de l’exaspération qu’elle provoque, elle représente surtout le cliché visuel le plus rebattu des pires reportages télé hospitaliers.

Cette esthétique bas-de-gamme semble être un choix assumé, puisque tout le film est construit en alternant paresseusement les séquences d’audiences et des interludes d’images d’hôpital sur une musique d’Alexandre Desplats, engagé comme caution artistique dans cette malheureuse aventure.

Mais l’essentiel est bien sûr ailleurs -dans les dialogues entre les juges et les malades- et c’est alors qu’on découvre que le contenu, le projet même du film, est encore plus glauque que sa mise en scène, et la gêne esthétique ressentie dès les premières images se transforme pour le spectateur en malaise moral bien plus profond, puisqu’ en lui présentant des séquences qui n’auraient jamais dû être filmées, ou au moins rendues publiques, on le rend complice d’un voyeurisme dont on découvre qu’il est sans doute l’unique motivation (sinon la fierté ?) du réalisateur.

Car la question centrale, essentielle que pose sans cesse ce document est celle du consentement des malades. Il est montré de manière très claire que tous ou presque ne consentent en rien au sort qui leur est fait, et c’est du reste la définition même de l’internement sous contrainte. Mais la notion même de consentement est évidemment rendue caduque par la maladie, par la capacité de jugement qu’on sait ou suppose altérée chez le malade. Cette incertitude conduit d’ailleurs à s’interroger sur le sens de cette procédure d’intervention des juges (et certains d’entre eux semblent s’interroger eux-mêmes), car leur décision –toujours celle de prolonger l’internement- est dictée par les avis des médecins, et la demande faite au patient d’y consentir est bien sûr purement formelle, puisque consentir ou non ne changera rien à son sort.

D’où la question : Au nom de quel principe peut-on filmer et montrer sans flouter leur visage des personnes privées de liberté (alors que cela reste impossible pour des prisonniers) ? La réponse, scandaleuse, est donnée dans le bonus par l’assistante de Depardon : Juridiquement, les personnes internées sous contrainte ne sont pas pour autant privées de leurs droits civiques, et de ce fait leur consentement à être filmées est recevable. Or il paraît évident quand on entend la plupart d’entre eux que leur jugement est altéré, autant sans doute par leur maladie que par les effets des traitements et leurs conditions de détention (on voit que plusieurs d’entre eux ont été attachés à leur lit). Les consentements écrits qu’on a dû leur extorquer pour que ce film existe ressemblent dès lors à autant d’abus de faiblesse supplémentaires, destinés seulement à satisfaire le voyeurisme supposé du spectateur.

On peut s’interroger légitimement sur les raisons qui ont conduit les autorités de justice et de santé à accepter de collaborer à la réalisation d’un tel projet, et on est troublé par le déluge de louanges qui a salué la sortie d’un film formellement aussi pauvre et moralement plus que suspect.