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dimanche 21 avril 2024
Le lièvre de Patagonie
par Claude Lanzmann
( 4 juillet 2009 )

Nous étions tous les trois très faciles à vivre. Elle [SdeB] comme lui [JPS] - et c’est aussi depuis longtemps ma conviction - pensaient qu’on ne discute bien qu’avec ceux avec lesquels on est d’accord sur le fond. C’est pourquoi ils détestaient les mondanités et les grandes tables françaises, privilégiant la relation duelle. Etre deux, se parler deux à deux était selon eux - selon moi aussi, ils m’ont appris cela - la seule façon de se comprendre, de s’entendre, d’avancer, de réfléchir, la formule de cette relation était : « chacun sa réception ». [p 250]

Éprouvant moi-même depuis l’enfance qu’on peut être lâché par tous ses amis si on perd son rang, qu’arrive un moment où plus personne ne vous viendra en aide, qu’on peut mourir de faim, de froid et de solitude, j’étais extraordinairement sensible à tout ce qui, à mes yeux, ressortissait à la nudité du besoin et du dévoilement de la violence fondatrice des relations entre les hommes. [p 393]

La longue marche de la prise de conscience prolétaire et de la constitutions des organisations ouvrières était, il y a un demi-siècle, un sujet de réflexion pas du tout abstrait parce qu’il demeurait - Saint-Nazaire en administrait la preuve - notre actualité, même si celle-ci était déjà enceinte du monde étrange et lugubre qui est le notre aujourd’hui, où l’inhumaine indifférence de l’homme pour l’homme semble un fait de nature, accepté comme tel, où le rejet des faibles dans les oubliettes de l’histoire paraît aller de soi. [p 395]

[...] la critique sarcastique lui servait à démolir son propre pays, n’en laissant pas pierre sur pierre [...]. C’était pour lui comme une ruse existentielle lui permettant de continuer à y vivre, expression paroxystique de la conscience malheureuse hégélienne, heureuse de son propre malheur. [p 419]

Voir « l’oiseau n’a plus d’ailes » (1974, Gallimard, coll. Témoins)
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