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dimanche 21 avril 2024
La tache
par Philip Roth
( 9 août 2004 )

Il y a quelque chose de fascinant dans ce que la souffrance morale peut faire à quelqu’un dont la faiblesse ne saute pas précisément aux yeux. C’est plus insidieux que l’oeuvre de la maladie, parce que çà ne se soulage pas par une perfusion de morphine, une péridurale ou une opération chirurgicale. Une fois que cette souffrance vous tient, on dirait que la mort seule peut vous en libérer. Sa réalité brutale ne ressemble à rien d’autre. [p 26]

Il en était arrivé à cultiver l’aversion qu’il avait laissée régir sa vie avec l’arrogance de celui qui n’a réussi nulle part. [p 91]

[...]on aurait dit qu’avec l’opiniâtreté retorse de celui qui maudit le destin, de celui qui s’est attiré les foudres d’un dieu, il s’acharnait à provoquer une agression dégradante au dernier degré, une injustice suprême qui justifierait à jamais ses griefs. [p 115]

Elle parlait à tort et à travers. Elle faisait partie de cette culture débile du bla-bla. De cette génération qui est fière de son manque de profondeur. Tout est dans la sincérité du numéro. Sincère, mais vide, totalement vide. C’est une sincérité qui fait dans tous les sens, une sincérité pire que le mensonge, une innocence pire que la corruption. Quelle avidité ça cache, cette sincérité, et ce jargon ! Ce langage extraordinaire qu’ils ont tous, et on dirait qu’ils y croient, quand ils parlent de leur manque de valeur, alors qu’en disant ça ils estiment au contraire avoir droit à tout. Cette impudence qu’ils baptisent facilité d’amour, l’avidité brutale qu’ils camouflent sous la prétendue « perte de leur estime de soi ». Hitler aussi manquait d’estime de soi. C’était son problème. L’arnaque que ces jeunes ont montée ! Cette mise en scène de la moindre émotion. Leurs « relations ». Ma relation. Il faut que je clarifie ma relation. Dès qu’ils ouvrent la bouche, j’ai envie de grimper aux rideaux. Tout leur discours est un florilège de conneries qui ont traîné ces quarante dernières années. La clôture narrative. Autre cliché, riens. Mes étudiants n’arrivent pas à maîtriser leur pensée. La clôture narrative ! Ils sont polarisés sur le récit conventionnel avec commencement, milieu et fin - toute expérience, si ambiguë qu’elle soit, si épineuse, si mystérieuse, doit se prêter à ce cliché de présentateur télé normatif et bien-pensant. Le premier qui me parle de clôture narrative, je vous le recale. Je vais leur en donner, moi, de la clôture narrative, leur chapitre est clos. [p.202]

[...] Les musiciens avaient mis au jour les plus jeunes et les plus innocentes de nos idée sur la vie, ce désir indestructible que les choses soient ce qu’elles ne sont pas et ne pourront jamais être. [p. 280]

Les gens qui ont du pouvoir [...], même lorsqu’ils sont intègres, ne se sentent pas prisonniers du besoin de dire la vérité en toute circonstance [p. 376]