Nous sommes nombreux à ressentir et à craindre arrivée d’un basculement décisif : de le démocratie à la tyrannie, de la laïcité à la théocratie, du pluralisme au fascisme. dans certains pays, il a déjà eu lieu. dans d’autres, il semble aussi proche et familier qu’un reflet altéré dans un miroir. [p 22]
Il faut cesser une fois pour toutes d’écouter aux portes de ces toilettes mondiales, sales et surpeuplées, que sont les médias sociaux. [p.46]
Il me semblait que la logique même du bon gestionnaire de marque se mariait assez mal avec celle du bon journaliste, et plus mal encore avec celle de l’analyste politique éprouvé, qui, l’un comme l’autre, s’engagent tacitement à poursuivre leurs recherches quel que soit leur point d’arrivée, quitte à ce que leurs conclusions diffèrent de celles qu’ils avaient envisagées. Les bons analystes politiques doivent accepter d’être changés par ce qu’ils découvrent. En marketing, le devoir est inverse : vous devez continuer à incarner l’identité de votre marque - sa promesse - coûte que coûte. [p.73]
Nous qui respections les mesures sanitaires n’avions pas de mots assez durs pour qualifier ceux qui refusaient de faire passer l’intérêt des personnes immunodéprimées avant le leur et n’avaient cure des sacrifices que les personnes non vaccinées, en submergeant les services Covid, imposaient au personnel soignant. Comment pouvaient-ils se montrer aussi insensibles ? Comment pouvaient-ils accepter de classer les vies humaines selon qu’ils les jugeaient plus ou moins dignes de protection et de soins ? Pourtant, quand les personnes non vaccinées se sont mises à engorger les hôpitaux, beaucoup de ceux qui se disaient consternés par leur inhumanité ont dit qu’elles ne méritaient peut-être pas d’être soignées ou ont admis l’idée (sur le ton de la plaisanterie, mais pas toujours) que le Covid allait peut-être avoir l’avantage de nous débarrasser des crétins, voir ont pu prétendre, à l’instar du président Emmanuel Macron, que les personnes non vaccinées n’étaient plus des citoyens à part entière. Nous nous pensions opposés par essence, et voilà que nous nous retrouvions plus semblables que jamais, prêts à nous refuser mutuellement le statut d’être humain. Comment avons-nous pu descendre si bas, devenir si réactionnels, et finalement céder autant de terrain ? [p. 164]
(...) Quel est le rôle des enfants ? Sont-ils des personnes à part entière, et notre travail, en tant que parents, consiste-t-il à les soutenir et à les protéger dans leur développement ? Ou bien sont-ils des appendices, des extensions de nous-mêmes, nos produits dérivés, nos doubles, des êtres à modeler et à façonner dans notre propre intérêt ? Il y a tant de parents qui pensent avoir le droit d’exercer un contrôle absolu sur leurs enfants sans interférence ni intervention extérieure : sur leur corps (en associant les masques et les vaccins aux idées de viol ou d’empoisonnement d’enfants) ; sur leur esprit (en assimilant l’éducation antiraciste à une injection d’idées étrangères dans le cerveau de leur progéniture) ; sur leur genre et leur sexualité (en présentant toute tentative visant à discuter de l’éventail des genres et des orientations sexuelles comme une "tentative de pédopiégeage". C’est ce même refus de considérer les enfants comme des êtres autonomes qui explique en partie pourquoi, pendant si longtemps, les enfants handicapés ont été dissimulés dans de cruelles institutions. Si c’est d’un être qui leur ressemble que les parents ont besoin, alors le handicap vient inopportunément gripper la belle mécanique de leur plan. [p.262]
Hans Asperger (1906-1980), tout juste nommé à la tête du département de pédagogie curative, où tant de jeunes personnes atteintes d’autisme ou d’autres troubles du développement avaient été traitées, a su profiter de la volte-face autrichienne. Il avait fait ses études de médecine aux grandes heures de Vienne la Rouge et avait travaillé aux côtés de psychiatres juifs comme Georg Frankl (1897-1975), à qui nous devons l’élaboration des théories que nous considérons aujourd’hui comme essentielles à la compréhension de la neurodiversité - l’idée selon laquelle les cerveaux sont câblés de différentes manières et la différence n’est pas nécessairement synonyme de pathologie. En 1937, l’année précédant l’Anschluss, Asperger se faisait encore l’écho de cette analyse, écrivant à propos de ses jeunes patients présentant des traits autistiques qu’ils ne pouvaient pas être classés dans une catégorie précise : "IL y a autant d’approches [du développement de l’enfant] qu’il y a de personnalités différentes. Il est impossible d’établir un ensemble rigide de critères pour un diagnostic." Quelque mois plus tard, il changerait radicalement d’avis et commencerait à reproduire le discours eugéniste nazi, affirmant la nécessité d’éviter toute "’transmission de matériel héréditaire malade". (...)
Le programme d’euthanasie des personnes handicapées était déjà à l’œuvre quand Asperger affirma que, si la plupart des autistes méritaient de mourir, ceux d’entre eux qui possédaient une capacité exceptionnelle de concentration pouvaient servir aux nazis (peut-être en devenant des casseurs de code, ou des hyperconcentrés utiles au projet fasciste). Des recherches récentes ont révélé qu’Asperger avait signé des papiers pour que des enfants âgés d’à peine deux ans soient envoyés à [la clinique psychiatrique du] Spiegelgrund pour y être tués. En d’autres termes, il était l’un des principaux rouages du système de sélection des personnes "dignes" de vivre ou de mourir - un système qui allait bientôt se transformer en une machine génocidaire pour tous ceux que l’idéal aryen décidait d’exclure. (...) En distinguant ses "petits professeurs" du reste des autistes et en affirmant qu’eux seuls méritaient d’être sauvés, Asperger a créé la distinction très controversée entre "autisme de haut niveau" et "autisme de bas niveau". Tel est son héritage : déclarer un petit groupe d’enfants neuroatypiques supérieurs à leurs pairs, tout en participant à un système qui envoyait à, la mort ceux qui ne présentaient pas cet avantage concurrentiel. La trajectoire glaçante d’Asperger montre qu’en quelque années les mêmes institutions et parfois les mêmes personnes peuvent passer d’une éthique de l’attention et de la curiosité à l’égard d’un groupe vulnérable à une philosophie de l’insensibilité et de l’épuration génocidaire. Comme si un interrupteur avait été actionné. [p.281]
Nos gouvernements n’ont pas effectué ce qu’ils auraient pu et dû effectuer pour mettre en place une véritable infrastructure de soins et de solidarité pendant la pandémie - surtout à l’aune de ce qu’il était possible d’accomplir, comme nous l’ont montré le New Deal et la mobilisation dy front intérieur lors de la Seconde Guerre mondiale. Il n’empêche que cette période pandemique,qui a vu de nombreux gouvernements payer les gens pour qu’ils restent chez eux et leur donner accès gratuitement au dépistage et à la vaccination, à constitué une bifurcation historique majeure par rapport à toutes les grandes tendances des politiques publiques du demi-siecle dernier, qui n’ont eu de cesse de nous éloigner de l’idée que notre humanité commune nous oblige à une solidarité commune. Nos dirigeants n’avaient pas le choix : sans ces mesures, des milliers de personnes seraient mortes et des économies entières se seraient effondrées.
(...) Brusquement, le message d’une grande partie de notre classe politique et de nos entreprises s’est inversé : il est apparu que nous étions (après tout) une société, que les jeunes et les personnes bien portantes devaient faire des sacrifices pour les seniors et les malades, qu’il nous fallait porter des masques par solidarité avec eux (si nous ne le faisions pas pour nous-mêmes) , et que nous devrions applaudir à l’unisson et remercier ceux-là mêmes - souvent des Noirs, souvent des femmes, souvent des personnes originaires de pays pauvres - que nos sociétés avaient pris l’habitude de dévaloriser, de deconsiderer et de rabaisser, dans la vie comme dans le travail.
Ces marques de solidarité, vertigineuses, c’était le monde à l’envers : elles contredisaient radicalement la façon dont le capitalisme nous avait appris depuis si longtemps à ne pas nous voir et à nous négliger les uns les autres. Avec le recul, il n’est pas du tout surprenant qu’une partie de la population ait dit :"Allez vous faire foutre : hors de question de porter un masque, de nous faire piquer et de rester chez nous pour protéger ceux que nous avons déjà choisi de ne pas voir." [p.309]