2016 éléments
dernière mise à jour:
jeudi 7 mars 2024
A la ville comme à la scène
par Pierre Barillet
( 31 janvier 2020 )

C’est à la répétition générale que se décidait le sort d’une pièce. Tout ce qui comptait à paris, professionnellement, socialement, dans le monde théâtral se trouvait réuni ce soir-là. C’est dire que la composition de la salle s’avérait d’une importance capitale. L’attaché de presse n’existait pas encore. C’étaient l’administrateur (en général une femme) et le directeur qui s e chargeaient de mettre au point ce plan de bataille. En ce qui nous concerne, nous avons très vite pris une part active à ce travail. Cela posait chaque fois des problèmes apparemment insolubles, les salles n’étant pas extensibles et le nombre de fauteuils à offrir des plus limité. Un invité mal placé (ou qui se considère comme tel) peut être encore plus dangereux que si on l’a oublié. Un souci de préséance détermine l’humeur de presque tous ces spectateurs privilégiés. La vanité conditionne leurs réactions qui ont rarement à voir avec la qualité du spectacle. Une quantité de parasites aussi incontournables qu’inutiles figure sur toutes les listes ; gonflés de leur importance, ceux-là auraient tendance à déblatérer. On essaie de les circonvenir en flattant leur ego. Un spectateur mal intentionné est contagieux et ses ondes néfastes gagnent facilement ses voisins, voire les rangs environnants. Les isoler dans les loges est une des meilleures solutions. Mais il y a de moins en moins de loges. Quant aux critiques, - ils sont tous là, réunis en bloc le même soir -, il faut veiller à les traiter, autant que possible, aussi bien les uns que les autres, et ne pas donner un strapontin à celui de l’Humanité lorsque son confrère du Figaro trône au milieu du cinquième rang d’orchestre ; les séparer impérativement s’ils ne s’entendent pas, et plus sûrement encore s’ils sympathisent entre eux ; les encadrer avec tact et subtilité. C’est la tâche la plus ardue. Eviter de leur donner des voisins s trop enthousiastes, les critiques détestent qu’on les prenne pour des imbéciles, et plus la claque applaudira bruyamment, plus ils se replieront sur eux-mêmes et mesureront leurs éloges. Il faut trouver des figures relativement anonymes, pas trop non plus, car le critique aime à se sentir en bonne compagnie, et la présence à ses cotés d’un inconnu sans repères risquerait de le troubler et de fausser également sa réaction. Tenir compte aussi de l’épouse du critique, car c’est souvent par son biais que l’on arrive à influencer le mari. Bref il y a d’innombrables cas de figure qui appellent une étude psychologique à laquelle nous nous sommes appliqués, qui a souvent prouvé son utilité. Evidemment, il y a les impondérables, les défections, les remplacements qui s’opèrent en dernière minute au contrôle et ruinent tous ces beaux calculs . Les générales sont des quitte ou double, et la part de chance y joue un rôle qui n’est pas négligeable.

[P. 100]