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jeudi 7 mars 2024
Un métier idéal
par John Berger
( 11 janvier 2017 )

Le tableau qu’on a vu la semaine dernière quand on croyait le peintre vivant est différent (bien que ce soit la même toile) de celui qu’on voit maintenant qu’on le sait mort. Désormais, tout le monde verra le tableau comme on vient de le voir. Celui de la semaine dernière est mort avec son auteur. (…) Tant que le peintre est vivant, nous voyons le tableau, quoi qu’il, soit manifestement terminé, comme l’élément d’une œuvre inachevée. (…) Une fois le peintre mort, le tableau devient élément d‘une ouvre définitive. (…) C’est pareil dans la vie. La mort d’un homme fait qu’il n’est plus que certitudes. Bien sûr, des secrets sont peut-être morts avec lui. Et bien sûr, un siècle plus tard, quelqu’un fouillant dans des papiers découvrira peut-être quelque chose qui jettera un éclairage radicalement différent sur sa vie et que tous ceux qui ont assisté à ses funérailles ignoraient. La mort modifie les faits qualitativement et non quantitativement. On n’en sait pas davantage sur un homme parce qu’il est mort, mais ce qu’on sait déjà se fige et prend un caractère définitif. Nous ne pouvons plus espérer que les ambigüités soient levées, ni espérer un changement. [p 158]

Dans notre culture hédoniste de l’instant, nous tendons à croire que le suicide est un commentaire négatif. Qu’est-ce qui a mal tourné ? demande-t-on naïvement. Pourtant, le suicide ne constitue pas nécessairement une critique de la vie à laquelle on met fin ; il peut relever du destin de cette vie. Tel était le point de vue de la tragédie grecque. [p.171]